"Qu'est-ce que tu fais ?"
L'homme se pencha au dessus de son épaule osseuse, observant d'un air intrigué ce qu'Echoe trafiquait avec ce fichu bouquin trouvé derrière un siège de métro.
"Je cherche l'entrée.
- Hein...?
- Ou la sortie si tu préfères. "
Echoe tournait sans cesse l'ouvrage abimé entre ses doigts fins, complètement courbé comme si sa grande taille et sa maigreur l'indisposaient et qu'il cherchait à se rendre plus petit ; ses sourcils étaient froncés tant sa concentration était intense, ses lèvres pincées et un brin agacées d'ailleurs. Il tenta de corner la couverture, mais visiblement le résultat ne le convainc pas, et il fit claquer sa langue contre son palais.
"T'as essayé de l'ouvrir juste pour voir...?"
L'homme ricana. Non mais vraiment, Echoe avait tout essayé, sauf ouvrir le livre à la première page comme font les gens civilisés quand ils ont un livre dans les mains.
Pour ne pas dire 'normaux', songea son compagnon...
" En principe ça se lit comme ça un livre j'te signale. En plus j'en connais qui te trucideraient s'ils te voyaient bousiller un bouquin comme tu fais..."
D'ailleurs il jeta un coup d'oeil un peu nerveux autour de lui. On ne sait jamais, il y a parfois de sacrés tarés qui trainent dans les métros à cette heure ! Manquerait plus que l'un d'entre eux soient un extrémiste de la protection des livres...
Echoe poussa un soupir agacé et tourna un regard contrarié vers son acolyte, le poing gauche sur la hanche et le droit secouant le pauvre livre de poche qui n'avait à priori rien demandé à personne, à part terminer sa vie tranquillement, coincé entre un mur au carrelage couvert de suie et un siège en plastique.
" Ca ne marche pas !
- Mais si tu m'expliquais ce que tu cherches au lieu de t'énerver ! Il t'a rien fait ce bouquin, fous-lui la paix!"
Echoe prit un de ces airs blasés légèrement hautain qui faisait tant horreur à son compagnon. En même temps, ce dernier s'était mis à suivre le jeune homme sans lui demander son avis, alors c'était peut-être un juste retour des choses. Echoe avait essayé un paquet de fois de le semer, mais force était de constater que ce SDF était particulièrement collant. Et curieux, trèèès curieux.
Il faut dire que de tomber nez à nez avec un type qui a un prénom pareil et qui vous demande si vous savez à quelle station il faut descendre pour aller à la tour de Babel, ça a de quoi intriguer pas mal de monde.
"Que veux-tu que je t'explique ? Tu ne comprends jamais rien de toute façon."
Echoe n'était pas méchant. Juste.... vraiment bizarre. En fait il ne semblait pas savoir ce que le mot "diplomatie" pouvait bien vouloir dire, et dès que le SDF l'agaçait, il ne se gênait pas pour lui asséner ses mots doux.
"Merci ça fait plaisir..."
Echoe soupira. Lourdement. Pour bien lui faire comprendre que la situation entière -et surtout lui- l'énervaient au plus haut point. Mais comme toujours, il se résigna pourtant à lui expliquer, comme si tous ces dialogues n'étaient que des jeux, ou la source d'une autre personnalité cachée derrière celle plus douce du conteur. Et sa voix était calme et profonde dans ces moments là, et trop basse aussi, un murmure obligeant systématiquement le SDF à se pencher un peu pour être sûr de l'entendre, comme un reste d'écho rapporté tant bien que mal par le vent.
"Ce livre n'a pas été laissé ici par hasard... ce devait être la porte de sortie pour pouvoir rentrer chez moi. Enfin... en tout cas c'est ce que le Noueur m'avait dit. Mais depuis que je suis ici, plus aucun livre ne s'ouvre ! Quelqu'un m'a volé la clef on dirait... Ou alors... ou alors quelqu'un cherche à m'empêcher de..."
Une rame de métro entra soudain bruyamment en gare, faisant crisser ses freins dans un bruit métallique assourdissant. Le SDF se boucha vivement les oreilles en pestant contre le serpent de métal, le regardant d'un air particulièrement désapprobateur. Déjà qu'il entendait à peine ce que lui racontait Echoe ! Il cracha quelques insultes dans sa barbe, puis lorsque le wagon s'arrêta enfin, il tourna la tête vers son interlocuteur pour lui demander de répéter. Mais tout ce qu'il vit alors, était un livre ouvert sur un siège en plastique usé. Les pages tournaient librement, comme si le vent les feuilletait, mues par le souffle du métro et des passagers qui descendaient en masse de la rame pour s'engouffrer vers les sorties.
Plus la moindre trace d'Echoe.
Mais ce qui frappa le plus le SDF, c'est que toutes les pages du livre étaient devenues blanches, sauf la première et la dernière, où deux mots se faisaient encore écho.
Un en haut à gauche de la première page, et le second en bas à droite de la dernière...
Entrée
Sortie
