dimanche 15 avril 2012

Le village

(Partie 1 - le métro Partie 2 - Un leurre)


Quelqu'un sait qu'Echoe voyage... et quelqu'un sait comment fabriquer des Portes....

Echoe regarde un long moment derrière lui, complètement figé comme si cette révélation bloquait le moindre de ses muscles. Les lèvres entrouvertes, il observe le vide d'un passé fait de lentes courses à travers les milliards de récits du monde...
Il n'aurai pas du ouvrir ce livre, mais il était tellement persuadé qu'il était sur une piste !! En même temps... techniquement c'en est une, puisque grâce à cela il sait à présent que quelqu'un le suit, ou l'observe, ou joue avec lui.
Donc quelqu'un sait qu'il existe. Et si quelqu'un sait ça, alors ce même quelqu'un sait peut-être qui il est et d'où il vient...?

Echoe soupire lourdement, et regarde à nouveau devant lui. Il hésite...
Raaaah et ces fichues fées qui ne le laissent pas en paix !!
Le jeune homme balaye l'air d'une main sèche aux doigts crispés, excédé par leurs incessants ballets autour de sa tête et par les piaillements stridents de leurs voix. Il se met à nouveau en route alors, espérant au moins les semer pour pouvoir réfléchir au calme.

Le pas rapide, les enjambées aussi larges que ses longues jambes le lui permettent, il traverse les parterres de fougères bleues, la mine fermée, chassant de temps à autre inutilement les petites créatures ailées qui ne le quittent pas d'une semelle.
Il ne fait plus vraiment attention à la route qu'il prend, de toute façon il ne connait pas encore la géographie de ce monde. Il lui faut juste un abris, et si possible avec des livres : une bibliothèques, une maison, un musée, n'importe quoi fera l'affaire.
Il marche tout droit, à peine essoufflé, mais les sourcils froncés sous l'effort.

"Pas par là !! Pas par là !!!"

Les fées de ce monde sont particulièrement têtues, et voyant que ce jeune homme pressé l'est tout autant et ne les écoute pas, elles décident toutes en choeur de prononcer les mêmes paroles, exactement au même instant, pour qu'une seule voix suffisamment forte s'élève dans les airs.
Echoe lève ses yeux aux couleurs changeantes sur les bestioles et hausse un sourcil, ralentissant le pas :
"Quoi.....?"
Un souffle sourd et brutal, chaud, balaye soudain la forêt, comme une faux gigantesque passant juste au dessus d'elle et laissant une ombre brumeuse derrière elle. Echoe tressaille et regarde à nouveau devant lui, stoppant net sa marche pour découvrir ce qui se passe, ouvrant de grands yeux stupéfaits.
A quelques pas à peine, là où il fonçait tête baissée, il n'y a plus rien. Ou plutôt il y a... une absence palpable, une sorte de trou noir d'un silence anormal, la forêt hurlant sans bruit à la façon d'un enfant se réveillant brusquement d'un cauchemar avec la gorge nouée.
Le jeune homme est totalement fasciné par le spectacle qui s'offre à lui... Il y a une seconde à peine, les arbres s'enchainaient à n'en plus finir à l'horizon, et maintenant, il n'y a plus que ce néant froid et chaud à la fois, et qui semble... attendre, comme suspendu à quelque chose d'invisible mais que l'instincts pousse à redouter.
Echoe a juste le temps de faire un pas en arrière que cette faux invisible fond à nouveau sur la forêt et efface tout à coup le maigre espace qui restait encore entre le vide et le jeune homme...
Une lame invisible et gigantesque qui effacerait petit à petit les trames du livre, ses mots, ses descriptions, ses images...
Il n'est plus temps d'admirer cette oeuvre, il faut fuir, le plus vite possible, avant de se retrouver de l'autre côté.
Il a compris ce qui était en train de se passer.

*
La brasserie se remplit doucement des employés de bureau et autres étudiants venus en ravitaillement pour le déjeuné. Samuel lève le nez de ses feuilles et les regarde sans vraiment les voir, mâchouillant un cure-dent après avoir mangé l'olive verte qui y était plantée. Mince... Il est déjà si tard ?!
Il jette un coup d'oeil à sa montre... ah oui... Ca fait bien deux heures qu'il est là, et maintenant que la salle se remplit, ça va être dur de se concentrer avec tout ce bruit.
Enfin de toute façon il n'était pas franchement inspiré aujourd'hui...
Il étend ses jambes sous la table et s'étire un peu, reposant les yeux sur ses feuilles. Petit mouvement de l'index pour redresser ses lunettes, et il se replonge dans ce qu'il a écrit.
Ho il ne prétend pas être un grand écrivain, bien au contraire ! Mais il aime bien mettre noir sur blanc les histoires qui naissent dans son esprit, et dont il est le seul lecteur. Cela dit, là quand même, c'est particulièrement mauvais.
Surtout sa description de la forêt là... C'est d'un cliché !!
Samuel récupère son stylo et raye consciencieusement les dernières lignes qu'il venait d'écrire, ne remarquant pas qu'un voyageur s'est glissé entre les mots de son histoire.
*

Les fées ont disparu, emportées par la faux invisible. Echoe court à perdre haleine à travers les bois, ne perdant plus de temps à se retourner pour regarder ce qui se passe. Il le sait très bien... Qui que ce soit qui soit en train de jouer avec lui, il l'a envoyé dans une histoire en cours de rédaction, et il n'y a pas mieux pour se faire tuer, absorber par le néant de l'inspiration, ou d'un mot, d'une ligne, d'un paragraphe, d'une page ou d'un chapitre que l'on efface.
Il sait aussi que pour se mettre à l'abris, il faut qu'il trouve une faille dans les pages, un lieu qui existe depuis le début et qui sera donc potentiellement protégé d'une rature ou d'un coup de gomme. A force de voyager de récit en récit, Echoe a heureusement appris à lire en diagonale, et il fini donc par couper à travers l'histoire, s'éloignant rapidement de la forêt dont il ne reste bientôt plus rien.

Une bonne heure de marche rapide est nécessaire au nerveux Echoe pour trouver l'objet de sa quête. Bientôt, un petit village de pierres se profil à l'horizon, et le jeune homme pousse un soupir de satisfaction. Il semble en effet que chaque habitation, chaque brin d'herbe, chaque centimètre carré de ce décor soit d'une précision sans faille, d'une finesse de détails caractéristique des lieux pensés et repensés à maintes reprises.
Aucun doute, il se trouve dans un village posé là depuis un moment, et probablement pour un passage clef de l'histoire. Et cela signifie aussi qu'il trouvera forcément tout autant de détails dans les maisons, et donc... des mots écrits quelques par, sur des feuilles, des livres, des carnets... Avec une Porte.
Echoe déambule un moment dans les rues en terre battue, observant les lieux de ce petit air hautain perpétuel et involontaire qui le défini tant. Il n'a pas l'air spécialement inquiet, comme si l'épisode de la forêt n'était plus qu'un lointain souvenir...
Echoe n'aime pas montrer ses émotions, c'est beaucoup trop personnel et cela fausse souvent le jugement des autres, mais aussi son propre comportement. Comment gérer une situation de crise si on est trop occupé à faire montre de panique ou d'inquiétude ?? Alors non, Echoe reste calme en toutes circonstances, posé, comme toujours.

Le village est entièrement vide, pas une seule personne ne s'y trouve, pas un seul habitant, pas un seul marchand, pas un seul animal. Pourtant les lieux ne semblent clairement pas abandonnés...
Sans doute un lieu qui n'a pas encore servit, songe Echoe.
Peu importe. Surtout qu'il n'aime pas franchement se mêler aux autres... Surtout si c'est pour se coltiner un pot de colle comme l'autre là, le SDF dont il n'a jamais songé à connaitre le nom.
De toute façon il n'existait pas.
Echoe esquisse une ombre de sourire, l'air assez satisfait de lui. Il sait qu'il est le seul à être réel dans toutes ces histoires, et même si la solitude le gagne parfois, il n'en est pas moins fier d'être l'unique réalité des mondes qu'il traverse.
Pas une seule fois en revanche il ne s'est demandé s'il n'était pas un jour tombé dans le vrai, sans le savoir, et en était sortit comme il sort de tous. Pas une seule fois non plus il n'a envisagé l'hypothèse même qu'il pouvait très bien être né de l'imagination de quelqu'un, et s'être échappé de son histoire, ou en être tombé, ou même... en avoir été volé...

Echoe jette son dévolu sur une grande maison à deux étages à l'allure de petit immeuble particulier. Elle doit être prévue pour quelqu'un de riche, ou de haut placé, et il doit donc y avoir des bibliothèques remplies de livres là dedans. Il pousse la porte de bois sans mal, celle-ci n'étant pas verrouillée, et observe un peu les lieux en avançant dans le hall, ses pas claquant sur les dalles de pierres froides. Il ne s'était pas trompé, la bâtisse est remplis de tentures, de tapis et de meubles somptueux, dans des matières nobles et travaillées.
Echoe fait une moue. C'est du gothique médiéval, comme par hasard !
Aucune imagination, vraiment.... un cliché de plus et j'évite à jamais les livres d'heroic fantasy !
le jeune homme n'est pas tellement honnête avec lui-même. Le fait est que tous les livres, toutes les histoires, lui paraissent d'un convenu affligeant, pour la bonne raison que cela fait des siècles et des siècles qu'il les visite... et que forcément, à force, il y a quelques redondances.
Pas de livre au rez de chaussé, ni de lettre, rien avec des mots tissant des récits. Echoe poursuit sa recherche tranquille en montant au premier étage comme s'il visitait une maison à vendre, appréciant le silence religieux qui règne dans la totalité du village. Seuls ses pas et le bruissement de ses vêtements se laissent entendre, ou même son souffle de temps à autre. On pourrait presque entendre ses cils se heurter à chaque fois qu'il cligne des yeux.
Complètement perdu dans ses réflexions, Echoe ouvre une porte au hasard d'un geste ample à la manière de quelqu'un se trouvant dans sa propre demeure, mais il se fige alors après avoir sursauté violemment, poussant une légère exclamation de surprise.
La main encore sur la clenche, il observe intensément le large lit à baldaquin qui trône majestueusement au centre de ce qui semble être la chambre des riches propriétaires du lieu. Deux corps sont allongés sur les draps, côte à côte, un homme et une femme, les mains croisées sur la poitrine.
On dirait des cadavres... 




(Partie 4 : Corpse )

Waiting for the night to come


Je suis sûr que je suis réel....
Dites-le moi.
Prouvez-le moi.
Que j'existe.

dimanche 1 avril 2012

Sepia

"A ce coeur si rompu, si amer et si lourd, accorde le dormir,
Sans songe et sans peine, sauve-le du regret, de l'orgueil, de l'amour."
Anne de Noailles - A la nuit, 1924.